Cocorico

19 Elle courbe le dos comme une voussure, / ses bras et son bâton contre le mur / tâtent ensemble…) Tout au long de ce long poème, nous accompagnons l’aveugle en sa triste pérégrination, devant des portes qui ne s’ouvrent pas ou qui se referment à peine entr’ouvertes, dans l’indifférence des nantis, pour qui tous les prétextes sont bons pour ne rien lui donner. Tout au long de ce long poème, reviennent de brèves notations, comme un refrain lamentable, rappelant que la pluie, cette pluie qu’on dirait éternelle, tombe toujours, dans la grisaille de ce matin de dimanche. Seul le poète la fera entrer, lui offrira une tasse de café… mais il semble bien que cela n’est qu’un songe, une bonne intention qui n’est pas réalisée. Le poète est comme les autres, maladroit, incertain… le destin est ainsi fait : au terme de la promenade, le monde reste tout pareil, lugubre, désenchanté : « (Èl pieufe coupe come in champ d’èsteûle…)/ Èlle èst voye in taustant là…ci…/ L’cayau du tch’min du paradis / Dins l’pieufe qui r’late, dins l’ vint qui rit, / - Qui brét, qui miâwe, qui tchante, qui r’beûle – L’aveûle ! » (La pluie coupe comme une éteule…) // Elle est partie tâtant par là…tâtant parci… / Le pavé de la route du paradis, / dans la pluie qui cingle, dans le vent qui rit, / - qui pleure, qui miaule, qui chante, qui beugle - / l’aveugle ! » Le paradis surgit soudain, comme une récompense, une revanche sur le mauvais sort, sur le mépris des nantis… s’il y a un paradis ? Car le poète vient de définir bien autrement l’endroit qui l’attend : « Èlle-è-st-au trau dès mautchaussis, » « Elle est au trou des mal chaussés. » Misérabilisme ? Il faut tout de même se rappeler que les « golden sixties » sont encore loin, et que l’on sort à peine d’une dure guerre, au cours de laquelle les pauvres gens avaient du mal à se nourrir, tandis que les trafiquants du marché noir s’enrichissaient à leurs dépens. Il est vrai aussi que Dewandelaer luimême a souffert de la captivité, d’une maladie qui l’a fait mourir très jeune. Et puis, il y a aussi, chez lui, comme chez Georges Wiame, comme chez Willy Chaufoureau, une sorte d’allégresse, non dépourvue d’esprit critique parfois acerbe, d’ailleurs, à l’égard de leur ville. Les Nivellois sont loin d’être des naïfs. Mais écoutons, toujours dans le numéro de la SLLW, les réactions de Louis Gilliard : « Elle (Gabrielle Bernard) , comme moi, étions de ce peuple d’en bas, comme on dit aujourd’hui ; nos familles avaient connu ‘l’bougnou des fosses’. Nous n’étions pas des militants. Simplement des poètes qui ressentaient en leur chair et en leur esprit une ignominie qu’un grand poète wallon dénonçait avec tant de vigueur et d’art. Elle avait livré son message. Pour moi, je trouvai à portée

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